C'est une façon de parler de mes recherches de formation, de mon sujet d'études scientifiques de prédilection, ma façon d'aborder la morphogenèse et l'évolution du paysage.
Un parcours de géographe, de géomorphologue, écologique et humain
J'ai étudié la géographie et la géomorphologie à l'université d'Aix-Mairseille. Mes professeurs étaient alors Mireille Provansal (sédimentologie fluviatile), Maurice Jorda (Glaciaire, périglaciaire et dynamiques torrentielles Holocène, mon mentor), Christophe Mohrange (dynamiques littorales). Ma directrice était Cécile Miramont, spécialiste des dynamiques torrentielles Postglaciaires et dendrochronologue.
Sur la fin de mes études, j'étais enseignant-chercheur et moniteur au département de géographie et aménagement du territoire à l'université d'Aix, et intégré à l'Institut Méditerranéen d'Ecologie et de Paléoécologie (Ex-IMEP, maintenant IMBE).
Pendant ce temps, j'étudiais aussi l'Histoire, l'Archéologie, l'ingénierie de l'environnement, la palynologie et l'anthracologie.
Un terrain de jeu : les Alpes du Sud
Dans l'histoire naturelle des paysages de Alpes du Sud, le concept de morphogenèse postglaciaire est indubitablement incontournable.
Les vallons torrentiels adrets présentent tous une similitude morphogénique : des dépôts alluviaux puissants, de 10 à 25m d'épaisseur. Ces dépôts sont naturellement entaillés, incisés par les torrents actuels, ce qui confère une ambiance de fermeture des vallons. Grâce à ces incisions récentes, les dépôts postglaciaires (de 14000 à 6000 BP en moyenne) sont mis à jour. En étudiant leurs profils sédimentaires et leur contenus biologiques, nous pouvons retracer l'histoire du paysage depuis le retrait du principal glacier de la région.
Plus de 15000 ans d'histoire des paysages
Ces 8000 ans d'histoire des paysages naturels sont des archives inestimables pour la compréhension et la modélisation des dynamiques d'Erosion.
La rythmicité, loin d'être réglée et égale tout au long des millénaires, est marquée par des a-coups, des accélérations, des ralentissements - ce que l'on nomme des forçages en terme de géomorphologie.
Les ralentissements sont liés à des périodes climatiques réglées et douces. Durant ces périodes, la forêt de pins ou de chênes s'étend et colonise les fonds de vallons, alors en pente douce. Les torrents circulent calmement et divaguent.
Dans les périodes plus actives, les forçages, les archives sédimentaires témoignent de crues soudaines: les vallons sont comblés par phases rapides, la forêt détruite ou étouffée en fond de vallon par l'exhaussement de la surface.
Les questionnements principaux, dans le cadre de mes recherches, sont de savoir si les feux de forêts, qu'ils soient naturels ou anthropiques, ont joué un rôle dans cette rythmicité.
Quel type(s) de relation(s) peut-on faire entre les feux de forêt et les dynamiques d'Erosion ?
Travailler sur ce thème de recherches (encore exploratoire aujourd'hui), oblige à une collecte d'informations bien plus large que celle du géomorphologue et ses organisations synsédimentaires. Les artefacts archéologiques permettent d'apercevoir la présence et l'activité anthropique. Dans les vallées du sud des Hautes Alpes, les Hommes sont présents dès le Chasséen. Les analyses palynologiques permettent d'affiner leur présence, en particulier leur sédentarisation: les spectres de pollens contenus dans les sédiments des marais alentour montrent les premiers défrichements d'envergure, les semences, les importations de végétaux (blé, olivier, cyprès).
Pour les périodes plus anciennes, avant tout impact anthropique, seul le climat agit sur la morphogenèse. Une période froide succède à une période douce, et ainsi de suite. L'étude dendrochronologique des troncs subfossiles conservés dans les sédiments postglaciaires permet de rythmer la conquête végétale, mais aussi d'apercevoir des phases d'exhaussement des surfaces à la suite de crues torrentielles.
Enfin, l'anthracologie et le comptage des charbons de bois contenus dans les archives sédimentaire permet de retracer l'histoire du feu dans les fonds de vallon. Coupler les comptages de charbons de bois avec l'étude sédimentologique fine permet de relier les deux informations. C'était mon dada.
Les feux de forêt naturels sont provoqués par les impacts de foudre, et donc, par extension, les forçages dynamiques sont à mettre en relation avec des périodes d'instabilité météorologique se traduisant par une activité orageuse. Les feux de forêts anthropiques, lorsque l'on sait que les Hommes sont présents dans les paysages, ont une rythmicité différente, bien plus courte.
... la mise en pratique dans le monde réel (ou presque)
Mon activité actuelle est basée sur l'ouverture du champ de recherches de l'archéologie préventive à la géomorphologie. Ainsi, par ce biais, j'exécute des analyses paléopaysagères ciblées sur des terrains en cours de diagnostic archéologique. Cette méthode de travail est différente de la recherche géomorphologique pure, car elle se doit de répondre rapidement et efficacement à des questionnements d'occupation anthropiques extrêmement localisés.
La variabilité des terrains à analyser est, dans le cadre des diagnostics, très forte. Le travail n'en est pas moins intéressant : c'est un défi d'adaptation permanent. Chaque terrain a son histoire propre qu'il faut pouvoir relier dans un contexte spatio-temporel plus vaste.
Un nouveau bac-à-sable : Fouilles et tranchées
Les analyses de terrain à destination des diagnostics archéologiques consiste à recréer un contexte paysager et une succession de contextes paléopaysagers en des époques historiques et préhistoriques précises. Paléolithique, Néolithique, Chasséen, âge du bronze, du fer, antique ou médiéval ... les époques historiques (au sens humain du terme) se succèdent. A chacune un contexte climatique et de dynamique du paysage à reconstituer avec des indices parfois bien faibles. La connaissance du paysage et de ses rythmicités permet de recoller les morceaux, comme l'archéologue le fait sur une poterie. Il faut émettre des hypothèses concernant les possibilités d'établissement anthropique, les raisons d'abandon des sites qui peuvent être directement ou indirectement liées aux paramètres de la morphogenèse locale. Enfin, il est important de concevoir une hypothèse de fossilisation, qui très souvent est clairement morphodynamique. Les questionnements sont assez simples alors, et permettent d'expliquer pourquoi ici les artefacts antiques sont à 30cm de profondeur, et là-bas à 3m... ou introuvables.
Quelquefois, le temps des fouilles archéologiques s'en vient. Les analyses alors sont plus pointues, plus lentes. On prend le temps du questionnement et d'un rendu de meilleure qualité. La passion de la mise en relation du triptyque Erosion-charbon-climat renaît.
Prospections
Une autre façon de travailler avec les archéologues est la prospection. Le géomorphologue qui veille en moi est alors comblé : une aire, une vallée, un paysage dans son ensemble. L'appréhension est alors différente, car purement géographique. Les éléments de paysages s'emboîtent les uns dans les autres dans un vaste espace. La cartographie dynamique est alors le rendu préférentiel, un travail de longue haleine mais qui apporte, ici encore, une aide inestimable pour mes camarades de fouilles. En effet, la lecture de paysage et sa compréhension se fait en temps immédiat. Les prospections archéologiques sont alors dirigées préférentiellement dans les milieux ou les espaces les plus propices aux découvertes de surface, immédiatement visibles.
Comment les yeux du géomorphologue décèlent-ils les "milieux propices" ? Par simple lecture des dynamiques paysagères. Les dynamiques holocènes ont permit, en montagne, la création de zones planes naturellement drainées par exemple. Ces anciennes "plaines alluviales" ou cônes de déjection (aujourd'hui assimilables à des plateaux ou à des terrasses) étaient des zones de choix pour l'établissement humain : forêt, terre riche, cours d'eau pérenne et calme à proximité immédiate... Aujourd'hui, ces zones sont souvent agricoles, en friche ou ... recouvertes par des éboulements postérieurs, donc pas forcément visibles. Le géomorphologue les détecte facilement et peut alors guider les archéologues pour une prospection approfondie du milieu. En ce qui concerne les périodes plus récentes (antiques, Moyen-âge), des anomalies sporadiques sont détectée lors de la lecture et appuient la prospection. Ces anomalies consistent en des blocs allogènes ou disposés sans rapport avec les dynamiques locales, des variations de microtopographie...
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